«Modèles destines à concretiser ‘l’initiative des quotas‘», 
    en Commission fédérale pour les questions féminines (éd.), Frauenfragen / Questions au féminin / Problemi al Femminile, 1998, no. 1, p. 10–22.


    ==> auf deutsch«Umsetzungsmodelle zur eidgenössischen ‘Quoten-Initiative‘»

    L'initiative populaire fédérale «Pour une représentation équitable des femmes dans les autorités fédérales (Initiative du 3 mars)» a été déposée auprès de la Chancellerie fédérale le 21 mars 1995, munie de quelque 110'000 signatures valables. Elle vise à fixer dans la Constitution fédérale (Cst.) des règles assurant «une représentation équitable des femmes» au sein des cinq domaines que sont l'administration fédérale, le Conseil national, le Conseil des Etats, le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral. La présente étude tentera de voir dans quelle mesure la procédure électorale permet d'atteindre les objectifs visés par cette «initiative des quotas»; après avoir évoqué les quatre domaines qui n'exigeraient pas d'adaptations compliquées (l'administration fédérale, le Conseil des Etats, le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral), nous nous pencherons sur l'entité pour laquelle la procédure électorale devra subir des modifications plus profondes (le Conseil national).

    1. Administration fédérale (art. 4, al. 2, phr. 5 Cst.)

    La première disposition proposée par l'«initiative des quotas» prévoit que «la loi pourvoit à une représentation équilibrée des femmes dans les administrations, notamment dans l'administration générale de la Confédération, les régies et les hautes écoles.» Contrairement à ce qu'il fait pour les quatre autres domaines envisagés, le texte de l'initiative ne fixe pas d'objectif quantifié pour la proportion de femmes engagées par l'administration fédérale. On peut donc supposer que l'initiative laisse au législateur une certaine marge d'appréciation et que cette première disposition vise d'abord à accélérer l'application de la loi sur l'égalité et la mise en oeuvre d'autres mesures prises par le passé, telles que les «instructions [du 18 décembre 1991] concernant l'amélioration de la représentation et de la situation professionnelle du personnel féminin de l'administration générale de la Confédération».

    2. Conseil fédéral (art. 95 Cst.)

    Le texte proposé par l'«initiative du 3 mars» prévoit que le gouvernement fédéral continuerait de compter sept membres, «dont au moins trois [seraient] des femmes». Or, on applique d'ores et déjà un quota prévu par la Constitution et deux quotas informels: ce «quota minimal» de l'initiative viendrait donc allonger cette liste de contraintes. La clause inscrite dans la Cst. (en son art. 96) est la clause dite cantonale, aux termes de laquelle n'est éligible au Conseil fédéral qu'une seule personne par canton. Ce quota, qui constitue à certains égards un quota négatif, est cependant moins contraignant que ce quota selon le sexe.  Les quotas informels concernent les régions linguistiques d'une part et les partis politiques d'autre part: depuis la naissance de l'Etat fédéral en 1848, les cantons latins ont presque toujours eu deux représentants au moins au sein du Conseil fédéral; quant à la «formule magique» en vigueur depuis 1959, elle veut que siègent à l'exécutif fédéral 2 PRD, 2 PDC, 2 PSS et 1 UDC. 
    L'introduction d'un quota selon le sexe ne pose pas de problèmes particuliers pour ce qui est de la procédure électorale: on ajouterait aux quotas évoqués plus haut un quota exigeant au moins trois femmes au sein du Conseil fédéral. Comme l'élection a lieu selon le scrutin majoritaire, l'acceptation de l'«initiative des quotas» impliquerait que pour être élus, les candidats devraient non seulement avoir obtenu le plus grand nombre de suffrages, mais en plus entrer dans les quotas prévus. 
    L'introduction d'un quota selon le sexe limiterait la marge de manoeuvre de l'Assemblée fédérale (chambres réunies) lors de l'élection du Conseil fédéral. Cependant, les partis gouvernementaux seraient ainsi soumis à une pression plus forte, qui les inciterait davantage à trouver et à présenter des candidatures féminines dans le plus grand nombre possible de cantons.

    3. Tribunal fédéral (art. 107 Cst.)

    En ce qui concerne le Tribunal fédéral, l'«initiative des quotas» prévoit que «Les femmes représentent au moins 40 pour cent des membres et des membres suppléants.» Ainsi, comme pour l'élection au Conseil fédéral, le texte de l'initiative fixe une proportion minimale de femmes sans énoncer de limite supérieure. 
    L'élection au Tribunal fédéral, il convient de le rappeler, respecte elle aussi un quota inscrit dans la Cst. et un quota informel, deux quotas qui sont eux aussi moins rigides que le quota selon le sexe énoncé dans l'initiative. La Cst. prévoit (en son art. 107) que «l'Assemblée fédérale (...) aura égard à ce que les trois langues officielles de la Confédération (...) soient représentées». Quant à la pratique, assez constante, qui veut que les membres du Tribunal fédéral soient élus selon une certaine clef de répartition parmi les membres des partis gouvernementaux, elle constitue une sorte de quota informel. 
    De même que pour l'élection du Conseil fédéral, l'acceptation de l'«initiative des quotas» ne changerait guère la procédure d'élection du Tribunal fédéral. Le quota de 40 pour cent au moins de femmes devrait être appliqué de manière stricte, alors que ceux qui concernent les régions linguistiques et les partis devraient être respectés dans la mesure du possible. 
    Du point de vue de la procédure électorale, ces quotas sont applicables sans problème, notamment parce que l'élection du Tribunal fédéral se fait selon le système majoritaire. Seraient élues les personnes qui entreraient dans les quotas prévus et qui auraient totalisé le plus de voix. Comme nous l'avons dit à propos de l'élection au Conseil fédéral, le quota selon le sexe restreint la palette de choix qui s'offrent à l'Assemblée fédérale, mais force les partis gouvernementaux à recruter davantage de femmes.

    4. Conseil des Etats (art. 80, al. 1, phr. 2 et 3, et art. 80, al. 2 Cst.)

    L'élection du Conseil des Etats relève de la compétence des cantons; la Constitution dispose simplement que chaque canton élit deux députés et chaque demi-canton un député. L'«initiative des quotas» entend ajouter à cette norme constitutionnelle que «Chaque canton élit deux députés, une femme et un homme; dans les cantons partagés, chaque demi-Etat élit une députée ou un député.» L'initiative laisse aux cantons le soin d'édicter des dispositions d'exécution. A l'heure actuelle, tous les cantons sauf le Jura élisent leurs députés au Conseil des Etats selon le système majoritaire. 
    En cas d'acceptation de l'«initiative des quotas», l'élection des députés au Conseil des Etats désignerait non plus les deux candidats (sans distinction de sexe) qui seront arrivés en tête, mais le candidat et la candidate qui auront obtenu le plus grand nombre de suffrages. (Pour le canton du Jura, où le scrutin se déroule à la proportionnelle, voir le chapitre 5, qui est consacré à l'élection du Conseil national). 
    L'«initiative des quotas» prévoit que «dans les cantons partagés, chaque demi-Etat élit une députée ou un député.» C'est dire que les six demi-cantons (OW, NW, BS, BL, AI et AR) sont en quelque sorte dispensés du quota selon le sexe. En cas d'acceptation de l'«initiative du 3 mars», le Conseil des Etats ne connaîtrait donc pas de parité stricte quant à la représentation des deux sexes. En effet, même en appliquant le texte de l'initiative, il se pourrait que la Chambre des cantons, qui réunit 46 députés, accorde jusqu'à six sièges «de trop» à l'un des deux sexes: ce cas de figure se présenterait si les vingt cantons non partagés élisaient chacun un homme et une femme conformément au quota prescrit, tandis que les six demi-Etats éliraient tous une femme (ou un homme). En d'autres termes, la proportion de chacun des sexes au sein du Conseil des Etats pourrait donc varier entre 43,5% et 56,5%.

    5. Conseil national (art. 73, al. 1 Cst.)

    Le point vraiment délicat quant à la concrétisation de l'«initiative des quotas» réside, pour ce qui est de la procédure électorale, dans l'élection du Conseil national. Le texte de l'initiative dispose en effet que «La différence entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes représentant un canton ne peut pas être supérieure à un.» 
    Contrairement aux élections au Conseil fédéral, au Tribunal fédéral ou au Conseil des Etats, qui toutes appliquent le système majoritaire et peuvent donc mettre en oeuvre le texte de l'«initiative du 3 mars» sans trop de tracas, l'élection du Conseil national se fait selon le système proportionnel, ce qui soulève des problèmes complexes, mais non pas insolubles. A défaut de modèles éprouvés de réalisation, il existe les modèles qui ont été élaborés par l'étude Daniel Arn et Ueli Friederich à la demande de l'Exécutif de la Ville de Berne, dans la perspective de la votation populaire de 1995 sur l'introduction d'un «quota des sexes» au Parlement communal de la Ville de Berne. D'autres modèles ont été discutés, mis au point et testés par un groupe d'experts  pour le compte de l'association «Initiative des quotas». 
     

    5.1 Non pas bouleverser, mais étoffer le système électoral

    Certains des modèles possibles doivent être écartés d'emblée, car l'«initiative des quotas» vise non pas à modifier les dispositions applicables aujourd'hui à l'élection du Conseil national, mais à leur ajouter un quota selon le sexe. Seuls sont envisageables les modèles qui tiennent compte des trois points suivants, imposés par les art. 72 et 73 Cst.:

      1. le Conseil national se compose de deux cents députés 
      2. chaque canton ou demi-canton forme une circonscription électorale 
      3. les élections du Conseil national appliquent le système proportionnel
    A ces dispositions constitutionnelles viendrait s'ajouter, si l'«initiative des quotas» était acceptée, une disposition nouvelle aux termes de laquelle l'écart entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes représentant une circonscription ne peut pas être supérieur à un. 
    Le tableau 1 ci-dessous montre que l'«initiative des quotas» permet au Conseil national (comme nous l'avons vu pour le Conseil des Etats) de ne pas s'imposer une parité stricte quant à la représentation des deux sexes. La Chambre du peuple, qui compte 200 membres, pourrait en effet accorder jusqu'à seize sièges «de trop» à l'un des deux sexes, ce qui s'explique d'abord par le fait que 5 cantons à scrutin majoritaire (UR, GL, OW, NW et AI) n'ont qu'un député à élire, ce qui les dispense du quota selon le sexe, et ensuite par le fait que parmi les cantons à scrutin proportionnel, il y en a 11 (BE, SZ, ZG, SO, BL, GR, AG, VD, VS, NE et GE) qui ont à pourvoir un nombre impair de sièges. Par conséquent, la part relative d'un sexe au sein du Conseil national pourrait, en cas d'introduction du quota préconisé par l'initiative, varier entre 46% et 54% (cette amplitude serait même plus importante encore pour la députation de certains cantons). 
     

    5.2 Les normes énoncées par l'«initiative du 3 mars» face aux  résultats des élections au Conseil national de 1995

    Les élections de 1995 ont permis d'envoyer sous la Coupole 43 femmes et 157 hommes. S'il avait fallu appliquer l'«initiative du 3 mars», seuls 3 cantons auraient rempli la condition du quota de femmes par circonscription électorale, à savoir Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieures (qui ont élu chacun 1 homme et 1 femme) et les Grisons (qui ont élu 2 femmes et 3 hommes). Comme il ressort du tableau 2, 49 hommes élus auraient dû céder leur siège à des femmes dans 18 cantons non partagés: les principales redistributions auraient dû avoir lieu à Berne (8 mandats), en Argovie, au Tessin et dans le canton de Vaud (4 mandats chacun). Après cette nouvelle donne, les femmes auraient constitué 46% des conseillers nationaux. 
    A quels critères faut-il soumettre ces redistributions au sein des cantons? Pour répondre à cette question, le groupe d'experts de l'association «Initiative des quotas»  a proposé deux modèles envisageables:

    • 1. Modèle «Scrutin proportionnel avec correction»
    • 2. Modèle «Listes électorales corrigées»

     

    5.3 Le modèle «Scrutin proportionnel avec correction»

    Ce modèle de nouvelle répartition maintient les dispositions en vigueur du droit électoral jusqu'au moment de la répartition des sièges. Il est ainsi possible d'une part de ne pas restreindre les droits des partis et des votants, les premiers restant libres de composer leurs listes électorales et de conclure des apparentements de listes comme par le passé, tandis que les seconds conservent la possibilité de modifier (par cumul, latoisage ou panachage) les listes qu'ils glissent dans l'urne. D'autre part, les dispositions légales relatives à la procédure de répartition des sièges restent en vigueur: comme par le passé, les mandats sont attribués par liste, en fonction des suffrages obtenus et selon le principe de la proportionnalité. 
    La nouveauté serait que les candidats ayant obtenu les meilleurs scores individuels seraient dans un premier temps considérés comme élus à titre provisoire, car il faudrait déterminer si le quota selon le sexe a été respecté dans le canton (l'écart entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes représentant une circonscription ne pouvant pas être supérieur à un). Si le quota requis n'était pas atteint, il faudrait alors procéder à une redistribution des sièges. 
    Le modèle «Scrutin proportionnel avec correction» tient compte de deux éléments, à savoir: la proportion de suffrages obtenus sur une liste par le sexe sous-représenté (bien souvent, ce sont les femmes) et la proportion de femmes parmi les élus. Ces deux éléments sont mis en relation dans la formule en apparence compliquée qui permet de définir le «double quotient». 
      
     

       
                                     suffrages obtenus par le sexe sous-représenté 
                                         (sièges attribués au sexe sous-représenté + 1)  
      Double quotient    =   ---------------------------------------------------------------------------- 
                                         suffrages obtenus par le sexe surreprésenté  
                                         sièges attribués au sexe surreprésenté 


    Le double quotient, que l'on calcule pour chaque liste électorale, indique combien de suffrages il a fallu à un candidat et à une candidate pour obtenir un siège. Pour les listes où les femmes ont «tiré les marrons du feu» pour les hommes, c'est-à-dire là où le résultat d'ensemble doit beaucoup aux candidates, mais où il y a peu de femmes élues, le double quotient est élevé. Pour ces listes, on procéderait alors à une nouvelle donne: l'homme le plus médiocrement élu céderait son siège à la femme venue en tête parmi les candidates non élues. Si cette réattribution ne suffit pas pour atteindre le quota requis, on recalcule le double quotient pour chacune des listes; les mandats changeraient de mains jusqu'à ce que le quota cantonal soit atteint. 
      
      
      
     

       
      Partis et abréviations

      PRD    Parti radical-démocratique suisse 
      PDC    Parti démocrate-chrétien suisse 
      PSS    Parti socialiste suisse 
      UDC    Union démocratique du centre

      PLS     Parti libéral suisse 
      AdI       Alliance des indépendants 
      PEP     Parti évangélique populaire suisse

      PST     Parti suisse du travail / Parti ouvrier et populaire (POP) 
      AVF     Alternative socialiste verte et groupements féministes  
      PES     Parti écologiste suisse

      DS       Démocrates suisses (anciennement: Action nationale) 
      PSL     Parti suisse de la liberté (anciennement: Parti suisse des automobilistes)

      Autres  Groupes épars 
       


    Le tableau 3 (qui concerne Soleure) et les tableaux 1 et 3 de l'annexe (qui concernent respectivement Berne et le Tessin) visualisent la mise en acte du modèle «Scrutin proportionnel avec correction». A noter que le tableau 3 inséré dans le texte donne l'exemple le plus simple.

    • Dans le canton de Soleure, le scrutin de 1995 a abouti à l'élection de 7 députés: 1 femme et 6 hommes. Si l'on avait appliqué le quota proposé par l'initiative, 2 des mandats attribués à des hommes auraient dû être confiés à des femmes. Le premier parti touché par cette mesure aurait été le PRD, car le double quotient (dQ) y était le plus élevé (2,13); le second aurait été le PS (dQ = 2,03). Le dQ est particulièrement élevé dans ces deux partis, car non seulement les femmes ont obtenu davantage de voix que les hommes,  mais aussi parce que les deux sièges décrochés par le parti ont été attribués à des hommes. La redistribution des sièges déboucherait sur des députations paritaires pour le PRD, pour le PDC et pour le PS; le Parti de la liberté conserverait sa députation purement masculine.
    • Dans le cas du canton de Berne (cf. tableau 1 de l'annexe), il aurait fallu redistribuer davantage de mandats (8 au total), car il n'y avait que 5 femmes parmi les 27 conseillers nationaux élus en 1995. Les redistributions auraient touché les partis suivants: UDC (3), PS (2), PRD (1), PDC (1) et PES (1). Après la nouvelle donne, ce seraient surtout les partis rouges/verts qui auraient fait la part belle aux femmes: chez les verts (AVF et PES), les deux mandats obtenus seraient en mains féminines, de même que l'unique mandat décroché par le PDC serait échu à une femme, tandis qu'au PS, les femmes seraient majoritaires (5:3). La délégation du PRD aurait atteint la parité (2:2), alors que l'UDC aurait maintenu une majorité d'hommes (5:3). Le PEV et les partis d'opposition de droite (DS, UDF et PSL) n'auraient pas été touchés: leur unique mandat aurait été laissé à un homme.
    • Dans le cas du canton du Tessin (cf. tableau 3 de l'annexe), où les 8 mandats ont tous été confiés à des hommes, il est possible d'arriver à une répartition paritaire entre les sexes, les sièges à attribuer étant au nombre pair. Le parti le plus touché par l'application du modèle «Scrutin proportionnel corrigé» serait le PDC, où les deux hommes élus devraient s'effacer devant deux femmes. Ce profond bouleversement s'explique: le score électoral des femmes PDC a été meilleur que celui des autres femmes, puisqu'elles ont convaincu près de deux fois plus d'électeurs que les femmes radicales et près de quatre fois plus que les femmes socialistes. Après la redistribution, le PDC aurait eu une députation entièrement féminine, le PS aurait atteint la parité, tandis que le PRD aurait envoyé au Conseil national une majorité d'hommes (2:1). Quant à la Lega dei ticinesi, elle aurait échappé de justesse à une redistribution, car ce n'est qu'à la deuxième décimale que son double quotient se distingue de celui du PDC; ce dernier étant donc légèrement supérieur, c'est au PDC qu'on a procédé à la quatrième (et dernière) redistribution nécessaire pour atteindre le quota.

     

    5.4 Le modèle «Listes électorales corrigées»

    A la différence du modèle «Scrutin proportionnel avec correction», lequel se contente (comme le demande l'«initiative du 3 mars») d'équilibrer la députation de chaque canton, le modèle «Listes électorales corrigées» vise à ce que les listes électorales et les partis se dotent eux aussi d'une représentation équitable des deux sexes; cela signifie que le nombre des femmes élues par parti doit être égal à celui des hommes ou, en cas de nombre total impair, que la différence entre le nombre des femmes et des hommes élus ne doit pas être supérieur à 1. Pour atteindre cet objectif, il faut combiner plusieurs procédures de redistribution, ce qui implique des interventions assez profondes. 
    Il faut tout d'abord que les partis présentent suffisamment de candidatures féminines. En effet, si cette condition n'est pas remplie, la procédure électorale serait, comme pour le premier modèle de réalisation, maintenue telle qu'elle existe aujourd'hui jusqu'au moment de répartir les mandats. 
    Remarque: 
    La redistribution ne touche que les listes qui ont décroché au moins un mandat.

    La première mesure prévue par le modèle «Listes électorales corrigées» consiste à dresser pour chaque liste électorale une classification séparée des femmes et des hommes. Ainsi, quel que soit le nombre de suffrages obtenus, les mandats décrochés par le parti sont attribués alternativement à un homme et à une femme (système «moitié/moitié»), en prenant chaque fois le candidat le mieux placé. Une liste électorale peut néanmoins décrocher un nombre impair de mandats, ce qui rend impossible la répartition paritaire des mandats entre les sexes au niveau du canton. Dans ce cas, il faut corriger cette première répartition au niveau des listes en recourant au modèle du double quotient (cf. supra, point 5.3). Or, il s'est avéré que les partis de la droite n'obtiennent souvent qu'un seul mandat et que le double quotient, en raison du nombre restreint de suffrages que les femmes obtiennent sur les listes de la droite, favorise avant tout les femmes des partis du camp rouge/vert. Le nombre des femmes élues sur une liste du camp rouge/vert peut en conséquence être plus élevé que celui des hommes, ceci avec une différence supérieure à un.

    •  Le tableau 4 ci-dessus (qui concerne Soleure) et les tableaux 2 et 4 de l'annexe (qui concernent respectivement Berne et le Tessin) montrent la concrétisation du modèle «Listes électorales corrigées».
    • Dans le canton de Soleure, 6 des 7 députés ont été élus sur trois listes (PRD, PDC et PS) à raison de 2 mandat sur chacune, ce qui, en cas d'application de l'initiative des quotas, aurait permis d'appliquer tout simplement le système «moitié/moitié»: chacun des trois partis aurait donné un mandat à une femme et un mandat à un homme. Le quota aurait été atteint après cette première redistribution: l'homme élu sur la liste du PSL aurait donc conservé son mandat.
    • Le canton de Berne (cf. tableau 2 de l'annexe) aurait dû redistribuer huit mandats; le système «moitié/moitié» conviendrait pour 3 partis. Les 2 mandats restants auraient été redistribués à l'aide du double quotient (cf. point 5.3). Les Verts (PES), puis le PS auraient alors dû réattribuer des sièges, après quoi les partis rouges/verts auraient eu une délégation en majorité féminine: les femmes auraient représenté 100% de la délégation verte (AVF et PES), 62% au PS (5:3), 50% aussi bien au PRD (2:2) qu'à l'UDC (4:4). Le PDC, le PEV et les partis d'opposition de droite (DS, UDF et PSL) n'auraient rien dû modifier: leur unique mandat aurait été laissé à un homme.
    • Dans le cas du canton du Tessin (cf. tableau 4 de l'annexe), le système «moitié/moitié» aurait permis de réaliser 3 des 4 réattributions nécessaires pour atteindre le quota (auraient été concernés le PRD, le PDC et le PS). Pour préparer la quatrième «correction», on aurait calculé le double quotient pour chacune des listes. Ce n'est qu'à la deuxième décimale que le double quotient du PDC se distingue de celui de la Lega; c'est donc le PDC qui aurait dû pratiquer une nouvelle redistribution. Que le quota ait été atteint par l'un ou l'autre des modèles de réalisation, la députation du Tessin aurait été la même.

     

    5.5 Comparaison des deux modèles envisagés

    Les deux modèles de réalisation sont pertinents et utilisables. En quoi se distinguent-ils l'un de l'autre?

    • Le modèle «Scrutin proportionnel avec correction» vise directement l'obtention d'un quota cantonal selon le sexe, ne s'arrêtant pas aux différences de représentation des hommes et des femmes au sein de chaque parti (représentation féminine supérieure à la moyenne dans les partis rouges/verts, inférieure à la moyenne dans les partis bourgeois, absence des femmes dans les partis d'opposition de droite). D'une façon générale, ce modèle touche avant tout les partis qui constituent des listes électorales assez équilibrées et qui n'ont accordé aux femmes que peu de sièges, voire pas du tout. Il s'agit le plus souvent de partis bourgeois libéraux. En l'état actuel des choses, le quota cantonal n'est presque jamais atteint, et ce modèle solliciterait tout particulièrement les partis rouges/verts, dans lesquels les femmes ont d'ores et déjà obtenu de bons résultats. Quant aux partis qui ne présentent que rarement des femmes aux élections (les partis d'opposition de droite), ils échapperaient le plus souvent aux redistributions qu'implique l'application de l'«initiative des quotas».
    •  Le modèle «Listes électorales corrigées», lui, vise à atteindre le quota selon le sexe, non seulement au niveau du canton, mais aussi au niveau du parti. Il garantit ainsi que le nombre des candidates élues par parti soit égal à celui des hommes ou que la différence avec les hommes ne soit pas inférieure à 1. 
      Pour atteindre le quota cantonal selon le sexe, ce modèle permet à certains partis d'augmenter le nombre des femmes élues sur une même liste, ceci avec une différence supérieure à 1 par rapport au nombre des hommes élus. Le modèle «Listes électorales corrigées» a de l'influence dans les grands partis bourgeois, pour lesquels la parité peut être réalisée (la différence maximale ne dépasse pas 1). Quant aux partis d'opposition de droite, qui n'obtiennent deux mandats pour un canton que dans des cas exceptionnels, ce modèle ne favoriserait pas non plus la répartition des mandats entre les sexes.

     

    Ce qu'il faut retenir

    1) La vie politique suisse connaît des quotas depuis longtemps: l'exposé qui précède a montré que pour chacun des domaines touchés par l'initiative populaire fédérale «Pour une représentation équitable des femmes dans les autorités fédérales (Initiative du 3 mars)», on peut faire état de quotas existants, quoique ces derniers requièrent une application moins stricte que le quota selon le sexe que propose l'initiative. 
    2) L'exposé ci-dessus n'avait pas pour objet d'évaluer l'«initiative des quotas» quant à son contenu ou quant à sa portée politique; il s'agissait pour l'essentiel de déterminer si les revendications exprimées dans l'initiative étaient réalisables du point de vue de la procédure électorale. La réponse est oui:

    • Pour quatre des cinq domaines envisagés, à savoir l'administration fédérale ainsi que les instances dont les membres sont élus au scrutin majoritaire (Conseil fédéral, Tribunal fédéral et Conseil des Etats), la concrétisation de l'«initiative des quotas» ne poserait aucun problème.
    • L'initiative pourrait être mise en acte même pour le Conseil national, dont les membres sont élus à la proportionnelle. On a même le choix entre plusieurs modèles de réalisation. Ces modèles sont transparents pour ce qui est de leur intention, mais il faut reconnaître que les étapes de leur réalisation restent peu compréhensibles. C'est là le lot de la plupart des systèmes électoraux, et tout particulièrement du système proportionnel.

     

    Remarque finale

    Qu'il nous soit permis de rebondir sur la notion de système proportionnel; nous conclurons ces lignes en rappelant que la Suisse s'est en 1918 «offert le luxe» d'introduire le système proportionnel afin que ceux des partis qui étaient exclus de la gestion du pouvoir soient traités de manière plus juste lors des élections. Cette décision, ainsi que d'autres facteurs, a contribué à dessiner le paysage politique de la Suisse: renonçant à la domination d'un seul parti, le gouvernement s'est peu à peu appuyé sur l'intégration et le consensus, et les petits partis ont aujourd'hui encore une chance d'être représentés au Parlement. 
    La proportionnelle et les apparentements de listes électorales font aujourd'hui partie des acquis politiques incontestés de la Suisse. Qu'on nous autorise cependant à affirmer que seule une infime minorité sait comment les suffrages recueillis sur les listes sont convertis en mandats, compte tenu du système proportionnel et des apparentements. La situation est à peu près la même pour les solutions proposées par l'«initiative des quotas»: là aussi, on vise davantage de justice, mais les instruments à utiliser sont difficiles à comprendre; qui plus est, on ne parvient pas à s'entendre sur la question de savoir si ces instruments ne portent pas atteinte à d'autres acquis. Le présent exposé n'était pas destiné à se prononcer sur ces questions. Son seul but était balayer les éventuelles hésitations concernant la faisabilité, sur le plan de la procédure électorale, de l'«initiative du 3 mars». 
     

    (Traduction: Catherine Bocquet)